10 % des ruptures conventionnelles "n’auraient probablement pas eu lieu en l’absence du dispositif" (CEE)
Qu’est-ce qui "conduit un salarié à abandonner un emploi à durée indéterminée pour entrer dans un régime d’indemnisation du chômage, et un employeur à accorder une rupture conventionnelle à un salarié qui veut démissionner" ? C’est la question que s’est posée le CEE (Centre d’études de l’emploi), dans une étude publiée vendredi 29 janvier 2016. Il en ressort qu’un tiers des ruptures s’apparentent à un licenciement, et près de 40 % à une démission. Mais l’étude fait également apparaître que 11 % des ruptures sont "des ruptures opportunistes qui n’auraient probablement pas eu lieu en l’absence du dispositif" de rupture conventionnelle. "Dans cette configuration, la rupture conventionnelle fonctionne comme un dispositif de rupture hâtive, voire inconsidérée, des contrats de travail". Elle participe ainsi, "à l’alimentation des inscriptions à Pôle emploi".
"Estimer dans quelle mesure la rupture conventionnelle a remplacé des ruptures à l’initiative de l’employeur (licenciements) ou du salarié (démissions et prises d’acte) et dans quelle mesure elle a produit un surcroît de ruptures qui s’apparentent à des démissions, à des licenciements ou à aucune de ces deux modalités de rupture" : c’est l’objet d’une étude du CEE publiée vendredi 29 janvier 2016.
Le document, fondé sur une enquête Dares de 2011 et sur des entretiens qualitatifs, montre que "34 % des ruptures s’apparentaient en 2011 à des licenciements", 38 % s’apparentaient à des démissions, et même 55 % si on y ajoute les ruptures conventionnelles pouvant être assimilées à une prise d’acte. Les 11 % restants "ne sont pas proches des modalités habituelles de rupture du contrat de travail, par démission ou licenciement". Ces ruptures, "imputables directement aux caractéristiques du dispositif de rupture conventionnelle qui dispense les parties d’élaborer des motifs", "sont des ruptures opportunistes qui n’auraient probablement pas eu lieu en l’absence du dispositif", analyse le CEE. "Dans cette configuration, la rupture conventionnelle fonctionne comme un dispositif de rupture hâtive, voire inconsidérée, du contrat de travail", ajoutent les auteurs (1).
"une puissante incitation à la séparation rapide, voire irréfléchie"
Si la rupture conventionnelle se substitue dans bien des cas à d’autres modes de rupture, elle suscite aussi des ruptures supplémentaires, résultant "d’une double sécurisation et d’une facilitation : sécurisation de la démission pour le salarié, sécurisation du licenciement pour l’employeur, et facilitation des ruptures opportunistes". Au total, selon le CEE, "l’effet de substitution serait de 51 %" dans l’enquête Dares sur la rupture conventionnelle de 2011, "et l’effet volume de 49 % (15 points pour les licenciements, 23 pour les démissions et 11 pour les ruptures conventionnelles opportunistes)".
"Cette étude permet de mieux comprendre et connaître le succès actuel de la rupture conventionnelle", qui "dépend d’une multitude de facteurs, parfois antagonistes selon que l’on se place du point de vue de l’employeur ou du salarié", notent les auteurs. "La rupture conventionnelle est d’abord un outil de sécurisation, pour le salarié comme pour l’employeur" : pour le salarié, elle "remplace avantageusement une démission car elle donne droit aux allocations-chômage" ; pour l’employeur, elle "remplace avantageusement les licenciements, car elle dispense de donner des motifs à la rupture, et réduit donc le risque de contentieux".
"Un dispositif de facilitation des ruptures"
"La rupture conventionnelle est aussi un dispositif de facilitation des ruptures", insiste l’étude. Permettant de "rompre rapidement les contrats" du fait de la dispense de préavis, elle constitue "une puissante incitation à la séparation mutuelle rapide, voire irréfléchie. Même en dehors de ces ruptures irraisonnées (évaluées à 11 %), la facilitation des ruptures touche toutes les hypothèses de ruptures conventionnelles. Celle-ci est donc un outil puissant de destruction de CDI", qui "contribue à la fragilisation de ce qu’on appelle encore, de manière de plus en plus inexacte, le contrat de travail 'stable'".
Censée être un "vecteur de la mobilité de la main-d’œuvre", la rupture conventionnelle participe, "de façon immédiate, depuis 2008, à l’alimentation des inscriptions à Pôle emploi et joue donc un rôle non négligeable dans l’augmentation statistique du chômage. Plus globalement, la rupture conventionnelle pose de manière renouvelée la question de la pertinence du choix actuel du législateur et des partenaires sociaux de sécuriser les parcours et de fragiliser les contrats". Les auteurs concluent en estimant "qu’aujourd’hui, pour limiter les inscriptions à Pôle emploi, ce sont les salariés qu’il faudrait dissuader de rompre leur contrat, en s’attaquant aux causes qui leur font préférer le chômage à leur emploi".
(1) Raphaël Dalmasso, MCF, université de Lorraine, CEE ; Bernard Gomel, CR CNRS, CEE, et Évelyne Serverin, DR émérite CNRS, université Paris Ouest Nanterre La Défense, CEE.
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