mardi 2 février 2016

Qu'en est-il des e-mails personnels dans une messagerie professionnelle ?

L’employeur ne peut accéder aux courriels de la messagerie personnelle figurant sur l’ordinateur professionnel
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Une cour d’appel peut écarter des débats des messages électroniques figurant sur l’ordinateur professionnel d’une salariée, mais provenant de sa messagerie personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont elle dispose pour les besoins de son activité. La production de ces courriels par l’employeur porte en effet atteinte au secret des correspondances. C’est ce que retient la Cour de cassation dans un arrêt publié du 26 janvier 2016.
La Cour de cassation poursuit la construction de sa jurisprudence concernant le statut juridique des courriels que le salarié échange via sa messagerie personnelle à partir de son ordinateur professionnel. Dans quelle mesure ces courriels sont-ils couverts par le secret de la correspondance ? Les magistrats de la chambre sociale prennent position dans un arrêt publié au bulletin de la Cour le 26 janvier 2016.
La responsable d’agence d’une société prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur et saisit la juridiction prud'homale. Dans le cadre de ce contentieux, l’employeur produit aux débats un échange de courriels reçu par la salariée sur sa boîte de messagerie personnelle et figurant sur son ordinateur professionnel.
Secret des correspondances
La cour d’appel écarte cette pièce au motif que, bien qu’elle provienne de l’ordinateur professionnel mis à la disposition de la salariée, il s’agit "d’un échange de courriels reçu par l’intéressée sur sa boîte de messagerie personnelle et émanant d’adresses privées non professionnelles" de telle sorte que "sa production porterait atteinte au secret des correspondances".
La société conteste cette analyse et forme un pourvoi en cassation. Elle fait valoir que, selon la jurisprudence, les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel. Dès lors, la société soutient que "des courriels et fichiers intégrés dans le disque dur de l’ordinateur mis à disposition du salarié par l’employeur ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils sont émis de ou vers la messagerie électronique personnelle du salarié".
La Cour de cassation ne retient pas les arguments de l’employeur. La cour d’appel ayant constaté que "les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité", elle en a exactement déduit que "ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances". La chambre sociale confirme l’arrêt de la cour d’appel et rejette le pourvoi de la société.
Cass. soc., 26 janvier 2016, n° 14-15.360, publié

Votre équipe UNSa


lundi 1 février 2016

Au sujet des ruptures conventionnelles...

10 % des ruptures conventionnelles "n’auraient probablement pas eu lieu en l’absence du dispositif" (CEE)


Qu’est-ce qui "conduit un salarié à abandonner un emploi à durée indéterminée pour entrer dans un régime d’indemnisation du chômage, et un employeur à accorder une rupture conventionnelle à un salarié qui veut démissionner" ? C’est la question que s’est posée le CEE (Centre d’études de l’emploi), dans une étude publiée vendredi 29 janvier 2016. Il en ressort qu’un tiers des ruptures s’apparentent à un licenciement, et près de 40 % à une démission. Mais l’étude fait également apparaître que 11 % des ruptures sont "des ruptures opportunistes qui n’auraient probablement pas eu lieu en l’absence du dispositif" de rupture conventionnelle. "Dans cette configuration, la rupture conventionnelle fonctionne comme un dispositif de rupture hâtive, voire inconsidérée, des contrats de travail". Elle participe ainsi, "à l’alimentation des inscriptions à Pôle emploi".
"Estimer dans quelle mesure la rupture conventionnelle a remplacé des ruptures à l’initiative de l’employeur (licenciements) ou du salarié (démissions et prises d’acte) et dans quelle mesure elle a produit un surcroît de ruptures qui s’apparentent à des démissions, à des licenciements ou à aucune de ces deux modalités de rupture" : c’est l’objet d’une étude du CEE publiée vendredi 29 janvier 2016.
Le document, fondé sur une enquête Dares de 2011 et sur des entretiens qualitatifs, montre que "34 % des ruptures s’apparentaient en 2011 à des licenciements", 38 % s’apparentaient à des démissions, et même 55 % si on y ajoute les ruptures conventionnelles pouvant être assimilées à une prise d’acte. Les 11 % restants "ne sont pas proches des modalités habituelles de rupture du contrat de travail, par démission ou licenciement". Ces ruptures, "imputables directement aux caractéristiques du dispositif de rupture conventionnelle qui dispense les parties d’élaborer des motifs", "sont des ruptures opportunistes qui n’auraient probablement pas eu lieu en l’absence du dispositif", analyse le CEE. "Dans cette configuration, la rupture conventionnelle fonctionne comme un dispositif de rupture hâtive, voire inconsidérée, du contrat de travail", ajoutent les auteurs (1).
"une puissante incitation à la séparation rapide, voire irréfléchie"
Si la rupture conventionnelle se substitue dans bien des cas à d’autres modes de rupture, elle suscite aussi des ruptures supplémentaires, résultant "d’une double sécurisation et d’une facilitation : sécurisation de la démission pour le salarié, sécurisation du licenciement pour l’employeur, et facilitation des ruptures opportunistes". Au total, selon le CEE, "l’effet de substitution serait de 51 %" dans l’enquête Dares sur la rupture conventionnelle de 2011, "et l’effet volume de 49 % (15 points pour les licenciements, 23 pour les démissions et 11 pour les ruptures conventionnelles opportunistes)".
"Cette étude permet de mieux comprendre et connaître le succès actuel de la rupture conventionnelle", qui "dépend d’une multitude de facteurs, parfois antagonistes selon que l’on se place du point de vue de l’employeur ou du salarié", notent les auteurs. "La rupture conventionnelle est d’abord un outil de sécurisation, pour le salarié comme pour l’employeur" : pour le salarié, elle "remplace avantageusement une démission car elle donne droit aux allocations-chômage" ; pour l’employeur, elle "remplace avantageusement les licenciements, car elle dispense de donner des motifs à la rupture, et réduit donc le risque de contentieux".
"Un dispositif de facilitation des ruptures"
"La rupture conventionnelle est aussi un dispositif de facilitation des ruptures", insiste l’étude. Permettant de "rompre rapidement les contrats" du fait de la dispense de préavis, elle constitue "une puissante incitation à la séparation mutuelle rapide, voire irréfléchie. Même en dehors de ces ruptures irraisonnées (évaluées à 11 %), la facilitation des ruptures touche toutes les hypothèses de ruptures conventionnelles. Celle-ci est donc un outil puissant de destruction de CDI", qui "contribue à la fragilisation de ce qu’on appelle encore, de manière de plus en plus inexacte, le contrat de travail 'stable'".
Censée être un "vecteur de la mobilité de la main-d’œuvre", la rupture conventionnelle participe, "de façon immédiate, depuis 2008, à l’alimentation des inscriptions à Pôle emploi et joue donc un rôle non négligeable dans l’augmentation statistique du chômage. Plus globalement, la rupture conventionnelle pose de manière renouvelée la question de la pertinence du choix actuel du législateur et des partenaires sociaux de sécuriser les parcours et de fragiliser les contrats". Les auteurs concluent en estimant "qu’aujourd’hui, pour limiter les inscriptions à Pôle emploi, ce sont les salariés qu’il faudrait dissuader de rompre leur contrat, en s’attaquant aux causes qui leur font préférer le chômage à leur emploi".

(1) Raphaël Dalmasso, MCF, université de Lorraine, CEE ; Bernard Gomel, CR CNRS, CEE, et Évelyne Serverin, DR émérite CNRS, université Paris Ouest Nanterre La Défense, CEE.

Votre équipe UNSA